***

« Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige,

Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir!

Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir;

Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige. »

Baudelaire/ Harmonie du soir

***

***

Baroque

 

Mais ce soir, je suis raisonnable      

à l’orée de ton sable

refuge
Je viens surprendre ta nuit et je souris…

nostalgie.
Quel est ce paysage

mirage

Que frôlent les oiseaux de passage?

Quelle ligne de partage

fébrile
Unit le ciel à l’eau sans ambages?

On dirait un incendie

Une rixe contre l’oubli

interdit
entre le soleil qui couronne en secret
Les flots apaisés par le crépuscule enflammé
Et l’homme qui meurt peu à peu et devra s’en aller,

destin.
Chercher l’ailleurs, recréer l’unité
de la nuit, de ses non lieux retrouvés.
Exister, il faudra exister
par le je, par l’homme, par le défloré

condamné.
Exit la marée
Le grain subtil du respiré, de l’exhalé

soupir.
Exit ce doux bruit
Sons lancinants, l’air en catimini

saisi.
La main tendue vers la lune
Exit le jeu, ressac tourmenté à la une
Il faut raccrocher les étoiles au sommet de la dune

transie ;

De la grève abattre les cartes sur le tapis,

Qu’importe la rumeur des lames belles de nuit

primitives

rouge et noir laminoir use le jusant impassible

Les points et les tentacules de l’étale sont la cible

De  la cavalcade au doux baiser en creux,

Amour lucide.

L’introverti, le géant d’organdi nerveux

A figé les vagues, vagues et vagues canailles

Qui bruissent et chuchotent des mains de paille

La liturgie.

Des doigts de glace sur le miroir des encorbellements

Où  la dune s’endeuille à la nuit de crêpe et d’errements

hiératiques ;

La dune, les vagues, les vagues encore viennent mourir ou pas

La dune les enfouit et silence la nuit où basculent ses éclats.

L’épée du soir a signé sang et or l’oriflamme du néant.

***

Ainsi se referme le livre de la mer, aux mots tendres ou volcans

Sans fin la lave l’écume les vagues aux confins du jour.

***

***

fin

***

Photos et textes Maïté L

« Rapproche la marée de mes mains ;

Le sel gris au vert s’électrise,

Les étoiles traîne-sanglot,

Ces glisseuses ont voulu leur chance :

Haute mer déroulant mon linge,

Bas soleil habillant ma mort.

 

 

Dans les airs au rouge abandon,

Le meurtre serait-il à l’aise,

O soleil qui blanchis mon linge !

 

RENÉ CHAR -BELLE ALLIANCE

***

Banalité

Et puis il y eut des éclipses, des regrets
des torrents, par nécessité,
des prairies d’altitude et des lupins

 Des matins à frôler les nuages

Des isards bondissants,

Des cascades edelweiss,

Des marmottes printanières

Et des chardons bleus

Des concerts de clarines

Des fraises sauvages

Et bien des orages.
Mais vers toi je revenais
manquaient quelques touches d’embruns

où déposer  les chagrins importuns.
Oui parfois je te revenais…

En pleine lumière ou dans la grisaille

Sous les tamaris ou dans un hamac

Comme on retrouve de vieux amis.
J’aurais aimé bien davantage…

Tu demeurais bleu-gris ou couleur vertige

Tu t’endormais au creux de mes nuits

Mes mots te palpaient papier mâché

En bouts de phrases inachevées.

Et puis un jour je m’approchais

Clandestine, car le charme se rompait ;

Il fallait recomposer les notes bleues, les notes de feu

Et franchie la dune renvoyer au loin ses brumes.

Au pays de l’absence et des pas syncopés

Faire coton, faire rivière, creuser le lit

De la complicité et de l’intimité recroquevillées ;

A grands coups d’elle faire lumière

Affronter des déserts les écharpes

Apprivoiser le temps qui perdait pied

Et donner à la main le sens de la caresse :

Sans façon. Sans laisser de trace.

Clandestine.

Jusqu’au bout du chant.

***

Clandestine
en jachère l’hiver
et le cœur tout broyé
entre deux pierres
hérissées d’épines.

Clandestine
des mots évanouis
entre deux soupirs
L’humeur chagrine
épelée à l’écho d’hier.

Clandestine
des rives incertaines
des ponts et des sirènes
où les mouettes
balaient l’âme vagabonde

Clandestine
tu te voiles la face
pour éponger l’été
aux diamants de pluie
sillonnant le grain de ta peau.

Clandestine de vies
Entre parenthèses
d’amour marin inassouvi
la terre de bruyère
écope le sang des soucis

Clandestine du sourire
des étoiles plissant les yeux
l’amer n’est pas montagne
lorsque la marée au ras de la coupe
attend l’aube lisse en rubans soyeux.

***

 photos et textes:Maïté L

 » Chaque cri que nous poussons se perd, s’envole dans des espaces sans limites. Mais ce cri, porté jour après jour par les vents, abordera enfin à l’un des bouts aplatis de la terre et retentira longuement contre les parois glacées, jusqu’à ce qu’un homme, quelque part, perdu dans sa coquille de neige, l’entende et, content, veuille sourire. »

Albert Camus

***

BAVARDAGE

Et puis tu sais, jamais je ne t’oubliai, la mer!

Te souviens-tu de ma première voiture?

Une R4 aux sièges en simili cuir et aux pare-chocs chromés.

Elle était chouette même si parfois elle se prenait pour toi,

En faisant des vagues sur le plancher, d’arrière en avant, lorsqu’il pleuvait.

Il me semble bien qu’il fallait freiner à mort

et qu’elle continuait tout droit sans s’émouvoir.

Je ne t’oubliai pas et dès le premier beau jour , je vins te saluer!
Vive la liberté de nos vingt ans!
Mais je m’égare, je m’égare
Car tu te faisais coquine
Cherchant à emmêler ma longue chevelure blonde
A dorer ma peau à la loupe de tes gouttes d’eau!

Il  y avait des matins de nacre et de coquillages

De longues luttes contre le vent entravant la marche

Des sacs de plage rebondis d’où s’échappaient les feuilles noircies

Des bains courageux aux premiers jours de mai trompeurs

Et dans le corps de fine liane toujours la même petite fille

Se multipliant à l’infini dans son attitude humble et souriante

Accueillant les bras ouverts le message tam- tam à cheval sur le présent

Qui lentement s’insinuait dans le creux de sa conscience.

***

La petite fille au bord de la mer

 

De  chaque nuit il faut saisir

Les clés de l’alphabet des lumières

Les consonnes du ciel, les voyelles des vents

Et les lueurs qu’apportent les petites bougies

De la terre.

Au chevet de toutes les lampes

Viennent s’asseoir nos rêves ;

Mangeurs de sombres lames d’ombre,

Ils dansent alors à l’ambre de nos flammes

Car nos ciels ne sont jamais d’éteignoirs ;

Ils se parsèment d’infimes poussières d’étoiles

Allumées en douceur au plafond de nos peurs.

En s’avançant peu à peu vers l’espoir

La petite fille, contre l’arbre posera son livre

De mers, de dunes et de sable

L’échelle de la saison des vents

Qui balaie sans remords les nuages vagabonds

Et leur pesanteur,

Les fonds marins faits de rumeurs incessantes

Et de torpeur ;

Elle gravira quatre à quatre les marches de son alphabet

Dans sa main, chaque jour une allumette.

Pour réchauffer  son cœur.

Dans son cœur, quelques rayons de soleil

Une poignée de mer, une poignée de monde

Et des reflets :

Tant de lueurs à imaginer

Pour peu qu’elle ferme les yeux.

En elle, trouvera-t-elle les chemins du  bonheur ?

 photos Le Grand Crohot et textes:Maïté  L

***

***

Au terme de cette conversation murmurée, mes remerciements à Frantz pour sa suggestion de lecture d’Albert Camus :La mer au plus près

*******

 

Marine

Les chars d’argent et de cuivre

Les proues d’acier et d’argent

Battent l’écume.

Soulèvent les souches des ronces.

Les courants de la lande,

Et les ornières immenses du reflux,

Filent circulairement vers l’est,

Vers les piliers de la forêt,

Vers les fûts de la jetée,

Dont l’angle est heurté par des tourbillons de lumière.

ARTHUR RIMBAUD

 

BRIBES

Arrivée à la plage.

Juste de passage avec ma grand-mère en robe noire , noire et blanche, comme il se doit. Beaucoup de noir et si peu de blanc: juste quelques fleurs blanches discrètes ou des pois minuscules. Chignon de rigueur.Foulard à portée de main.


Pique-nique sur le sable,une glace en guise de dessert à la baraque proche de la dune où un perroquet se tient  sur son perchoir. Ensuite, j’aurai toujours envie d’un perroquet que je n’aurai jamais: fascination de la parole?

  Et juste le droit de m’approcher de toi, la mer, pour que tu ne m’emportes pas dans tes profondeurs.Premières lunettes qui, une fois enlevées me plongent dans un monde hostile, sans repères; un monde flou sans limites et qui gronde.Ce n’est pas grave: l’eau de mer n’a le droit d’approcher que jusqu’au cou…Et les lunettes rendent ce monde magique. Un peu la même sensation éprouvée,  décrite par Jean-Pierre SIMEON dans la préface  de son livre LA NUIT RESPIRE:

« La poésie c’est comme les lunettes. C’est pour mieux voir.Parce que nos yeux ne savent plus, ils sont fatigués, usés.Croyez-moi, tous ces gens autour de vous, ils ont les yeux ouverts et pourtant petit à petit, sans s’en rendre compte, ils deviennent aveugles. »

Et il ajoute:

«  Il n’y a qu’une solution pour les sauver: la poésie. C’est le remède-miracle: un poème et les yeux sont neufs. Comme ceux des enfants.« 


J’aimais ces moments avec ma grand-mère.Les escapades maritimes étaient rares mais il y avait tant et tant de jours côte à côte, tant de complicité…Je lui ressemblais disait-on: est-il possible de finir par ressembler à ceux que l’on aime très fort?

Mais alors? se pourrait-il que je ressemble aussi un peu à la mer?


Texte et photos du Grand Crohot: Maïté L

« Je serais bien l’enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet, suivant l’allée dont le front touche le ciel. »

Arthur RIMBAUD / Illuminations

BALBUTIEMENTS

 

Te souviens-tu? Il y a si longtemps …
C’était au temps où je ne te voyais , toi la mer, qu’une à deux fois par an. La première fois peut-être.
Une partie de mer gâchée.
Un petit garçon de mon âge avait eu si peur de toi qu’il s’était enfui à toutes jambes, loin, loin dans les dunes. Il avait fallu courir en tous sens pour le retrouver.
Et c’était déjà l’heure de s’en aller.

L’autobus n’attendait pas les retardataires.

Le Grand Crohot/ Maïté L

et toi l’enfant qui découvris l’océan à travers les châteaux de sable: je me souviens de ton bob rouge. Tu as bien grandi et tu n’aimes plus la sensation des grains de sable entre les orteils.Te souviens-tu du jour où attiré par la forte marée, tu voulus dès l’arrivée voir cette muraille d’eau qui t’aurais roulé comme un fétu de paille.

Il fallait bien protéger ta peau blanche et tes cheveux blonds des assauts du soleil. D’ailleurs le soleil couchant te convenait mieux, lui qui dorait doucement ta tendre peau.Papa, maman , le seau et la pelle et le goûter à l’ombre du parasol qui parfois s’échappait pic sur la pointe et pac sur la tête, volé par le vent de mer.

sur la plage , au crépuscule,
Les ombres des châteaux
étendent leurs tentacules,
Et gourmandent les vagues
qui , à coups de langues;
lèchent ,un à un, les grains de sable.
Châteaux abandonnés,
Ruines sans armes ni ronces,
sans amour ni pervenches,
Forteresses et petits goûters
Des jours d’enfance ensoleillée.
Entre les vols furtifs de mouettes,
et les noires silhouettes,
Main dans la main,
La caresse des algues
et l’ivresse du vent
les couchent inexorablement
Au fond des océans. 

 

Andernos/Maïté L

Laurent Demany:l’homme qui, patiemment  tisse des fils de poésie vague après vague


Il y a quelques jours déjà, j’ai eu l’occasion de faire la connaissance de  Laurent Demany: il est  l’auteur du livre

«  GRAND CROHOT

Images pour Génie d’Arthur Rimbaud ».

 

Scientifique,passionné de photo, d’océan et de RIMBAUD, celui qui se dit photographe amateur parcourt en solitaire les plages  à des moments où il peut plus facilement entrer en communion avec l’océan. Durant  les mois de la saison froide, quelques heures après le lever ou bien avant le coucher du soleil, LAURENT DEMANY va à la rencontre des instants changeants où la lumière se révèle si particulière, entre la douceur des paysages marins et leur fougue, la véhémence des éléments parfois déchaînés et  leur apaisement.

A force de traquer la vague et le ciel, les lignes et les couleurs, les formes et les matières, entre musique d’un rideau d’écume et grains de sable, entre transparence et intenses coloris des tourbillonnantes profondeurs, au cœur et au rythme des pulsations de la vague, les images sont nées, ont grandi, ont pris l’ardeur d’un rêve d’océan qui consume le photographe. Sept ans d’embruns, de traces sur le sable aussi vite laissées qu’effacées, sept ans d’un regard qui devient percutant, et va à » l’essenciel et mer », le puriste sculpte la mémoire de l’océan comme d’autres sculptent la glaise ; 91 photos font écho au poème GENIE de RIMBAUD.

En outre, l’auteur a publié dans son ouvrage une reproduction du manuscrit écrit de la main de RIMBAUD que ce dernier avait confié à son ami PAUL VERLAINE en 1875 ; pouvoir détailler le texte original, placé à la fin des Illuminations dans les éditions du livre de poche (à tort ?) est un moment de pure émotion.

Dans l’ouvrage GRAND CROHOT, autour de ces deux mots magiques s’écrivent des lignes et des images, des liens qui vont des mots de RIMBAUD aux photos grandioses, à moins que ce ne soit l’inverse ; les mots calligraphiés semblent parfois prendre leur temps et leur part de mystère, semblent s’effacer sur la grève ou au contraire s’incruster et souligner le lyrisme, l’invocation à l’océan au travers des clichés choisis. Génie… Génie et sa part de mystère résonne en nous et résonnera longtemps encore lorsque nous irons cueillir des pages d’écume.

« Il est l’amour…et l’éternité. » écrivait Rimbaud.

JEAN-MICHEL MAULPOIX  quant à lui écrit dans  « UNE HISTOIRE DE BLEU » :

« Les phrases sont de la même étoffe que la mer, tissées par le même mouvement de navette qui trame le proche et le lointain, commençant, finissant toujours, sur la page pareille à la côte où le large reprise ses ourlets. »

Ce passage déjà cité en exergue de mon site   correspond bien au langage photographique et poétique de Laurent Demany.

Plonger dans son ouvrage , parcourir l’exposition de ses photographies, échanger sur des sujets que nous avons tous deux chevillés au corps, fut un régal.

 

Un jour, qui sait, le hasard nous fera nous rencontrer , appareil photo en main, devant les splendeurs océanes du Grand Crohot ou d’ailleurs.

 

Photos et billet: Maïté L