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« La vie ne vaut peut-être rien mais rien ne vaut une vie »
André Malraux
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On peut passer la journée à Oradour-sur-Glane et encore n’arrive-t-on pas à tout voir. Pas étonnant que le billet soit valable toute une journée.
Nous consacrerons l’après-midi à la visite du village martyr auquel on accède par un long couloir en sous-sol.
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« Les déportés , les massacrés n’ont plus que nous pour penser à eux . Les morts dépendent entièrement de notre fidélité »
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Il fait chaud. Une sorte d’été indien qui nous rend incrédules ;ce ciel bleu sans aucun nuage pourrait gommer l’émotion, édulcorer la vision. Il n’en sera rien. On entre dans le village comme on entre dans les cimetières militaires près des plages du Débarquement ou ailleurs en France : avec respect, en sachant ce que l’on va voir mais sans jamais mesurer toute la force de ce qui s’y trouve. Pourtant le film nous y avait préparés. On entre dans le village martyr en « silence », la pancarte posée près de cet arbre majestueux nous y invite. Puis on progresse pas à pas, on s’avance pour regarder par des semblants de fenêtres ou plutôt des murs en cratères.
Des arbres comme celui de l’entrée, il y en aura. Ils semblent avoir pris de la place, s’être étoffés au fil du temps pour rendre hommage à ceux qui les ont plantés. Ils sont la vie, les seuls êtres vivants qui se souviennent avec les rescapés de la vie qui fourmillait autour d’eux. Les arbres ont plus de constance que les hommes : ils se souviennent par exemple de ce champ de foire où furent rassemblés les habitants ; ils poussent même sur les ruines.
Plus on avance dans les rues du village, plus on imagine la vie de ce bourg prospère organisé autour du train qui le reliait à Limoges et à Saint-Junien.
toutes ces boutiques ! Tous ces artisans. Il y a là des boulangeries, des boucheries, des garages,la pompe à essence, des cafés, des couturières, dentiste magasin de laine, forgeron, carrier puisatier, menuisier, sabotier, courtier…
Nous irons jusqu’au cimetière et nous apercevrons le monument construit en hommage aux victimes mais nous n’irons pas plus avant. Difficile quand l’horreur le dispute à l’horreur.
Partout des ruines, des restes de vie arrachée à la machine à coudre, à la faucheuse, à la voiture, au vélo. Beaucoup de machines à coudre, des voitures d’enfants…des carcasses de voiture…
Nous irons jusqu’à l’église à ciel ouvert…Là où furent massacrés les femmes et les enfants. Insoutenable.
Nous croiserons plusieurs fois les militaires qui sillonnent le lieu de mémoire en silence. Nous échangeons parfois des sourires jaunes. Une adolescente venue avec sa famille consulte son téléphone et lit des détails aux adultes attentifs.
Il nous reste à voir encore tout un pan de village, celui qui touche le nouveau village. Je n’aurais pas voulu partir sans voir l’Ecole des Filles et Celle des Garçons un peu plus loin. Je ressens là peut-être la plus immense peine ; je me recueille quelques instants dans des lieux similaires à ceux que j’ai pu connaître dans ma vie d’enfant ou professionnelle à la campagne : la cour, le préau, les platanes et les wc au fond de la cour…
Nous terminerons par la gare et nous déclarerons forfait pour le bout de la dernière rue. Que les morts nous pardonnent car nous étions arrivés au bout du supportable.
ET POURTANT, nous n’avions pas encore tout vu…Nous avions gardé la visite du puits pour le chemin du retour… Le puits où les SS ont entassé les cadavres. Là, nous avons eu réellement l’impression de marcher sur des êtres vivants. Tout près des deux faucheuses tout juste rouillées…
« Hélas ! En ce dix juin , l’homme ivre de leur sang
Brûla les habitants, Oradour et l’enfant .
On jeta dans mon sein des vivants de passage,
Et des blessés fuyant cette horde sauvage ;
Aux affres d’agonie en leurs cris douloureux
Depuis ce jour, ma source…elle appartient aux Dieux.
Aux multiples des temps à chaque décennie
La voix de l’innocent dira l’ignominie.
C’est moi : » Le puits tragique » où se tarit mon eau;
Aux silences des ans, je ne suis qu’un tombeau… »
Poème de L Morlieras qui a perdu une sœur à Oradour
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Restait pour moi à faire des choix pour cette partie du récit de ce qui est une sorte de pèlerinage : j’ai souhaité éviter l’écueil du voyeurisme. Tout le monde photographie mais quelles photos montrer ? Comment faire passer un message sans le risque du « beau » point de vue, rendu « plus beau » grâce au cadrage et au ciel bleu ? C’est l’émotion qui prime, le sentiment de l’horreur.
Certains artistes ont été touchés par le massacre d’Oradour-sur-Glane et se sont exprimés avec leurs armes : par exemple
André Masson a réalisé « La Suppliciée » (par le feu)( dessin au fusain, encre de chine et craie sur papier teinté).
Picasso un dessin gouaché réalisé je crois dans le Livre d’Or : « L’enfant d’Oradour ».
Fernand Léger a rendu hommage aux victimes par un dessin en 1947.
Marcel Grommaire a réalisé un dessin
André Fougeron a réalisé un diptyque « La vie renaît à Oradour »
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à suivre avec dans le prochain billet les mots des poètes.