Guillaume IX, Paris BNF,ms.fr.12473,fol.128

L’histoire des troubadours commence avec Guillaume IX, VII ème comte du Poitou , IX ème duc d’Aquitaine et grand-père paternel d’Aliénor d’Aquitaine. Il est devenu duc à 15 ans et régnera durant 40 ans. Je ne rentrerai pas dans les détails d’une personnalité contrastée en abordant les aspects politiques, sa vie sentimentale agitée, ses démêlés avec l’Église omniprésente à cette époque-là qui avait l’excommunication facile (et limitée géographiquement). Guillaume IX s’est cependant révélé profondément croyant et attaché à cette Église pour laquelle il a été généreux, mais dont il contestait les représentants. C’était un esprit rebelle, mais soucieux des autres, libre pourl’époque, intelligent et sensible. A la fin de sa vie, il s’était considérablement assagi.



L’Histoire des ducs d’Aquitaine:

En 877 l’Aquitaine devient un duché vassal du royaume de France.

« En 886, Guillaume le Pieux, fils du comte d’Auvergne Bernard « Plantevelue »’C’est l’époque des surnoms qui sentent le corps de garde. Plantevelue pourrait se traduire : poil aux pattes. Il est certain que le comte d’Auvergne était ravi de ce surnom), devient le premier vrai duc d’Aquitaine.

Avec lui commence la remarquable lignée des Guillaume comtes du Poitou, ducs d’Aquitaine. Ils seront dix qui, durant deux cent cinquante et un ans, continueront l’œuvre féconde du précédent. Une telle obstination porte évidemment ses fruits.

Les ducs d’Aquitaine s’arrangent pour tenir la guerre loin de leurs gens, excepté au nord, où à chaque génération ou presque, il leur faut en découdre avec les comtes d’Anjou que les terres d’Aquitaine tentent toujours. »

« Après Le Pieux, c’est Guillaume Le Jeune, puis Guillaume Tête d’Étoupe, puis Fier-à-Bras, et puis Le Grand et le Gras et le Hardi. Avec Guillaume VIII c’en est fini des surnoms de soudards glanés dans les camps au soir des batailles. La cour des ducs se raffine de plus en plus : on s’y pique maintenant de peinture, d’architecture et l’on y balbutie l’amour courtois.

Guillaume IX, qui règne quarante ans, est le plus accompli des seigneurs de son temps. Il protège les arts, aime son peuple et, chose plus rare, en est adoré. C’est aussi le plus lettré de tous les troubadours qui donne ses lettres de noblesse à l’amour courtois et à la poésie. Il va même jusqu’à remettre des impôts s’ils sont tenus pour injustes ou exagérés ! Il conduit une croisade et fait hacher son armée en Asie Mineure. Il revient pour se faire excommunier à cause de ses débauches…

Enfin il est le grand-père d’Aliénor pour laquelle il connaît une véritable passion. Il meurt lorsque la petite fille va avoir six ans. Elle se souviendra de lui jusqu’à sa mort, quatre-vingts ans plus tard. »

 extrait du livre:Quand les Anglais vendangeaient l’Aquitaine

D’Aliénor à Jeanne d’Arc

 Jean-Marc Soyez

 

 

Guillaume IX d’Aquitaine, un poète dans un monde féodal (1071-1126) :

Le surnom « Le Troubadour » Lui a été donné tardivement.

« Ce goût particulier pour la poésie chantée a surpris et, peut-être même, choqué ses contemporains qui ont considéré ce penchant comme indigne d’un grand féodal destiné, par sa naissance, à une vocation guerrière. Il est sûr que, si le jeune duc d’Aquitaine n’avait pas montré son courage en de nombreuses circonstances et si la qualité de son œuvre littéraire n’avait pas été aussi évidente, il ne serait pas considéré, aujourd’hui, comme le « père » de la poésie lyrique courtoise. En effet, non seulement son inspiration annonce la fin’amor du siècle suivant, mais il est possible de le considérer comme le premier des poètes de langue romane. »

« Dans ce petit monde qui sera celui des troubadours, Guillaume aurait été le premier à concevoir quelque chose d’essentiel : alors que, jusque- là, les poèmes étaient transmis oralement, il nous paraît plausible de penser qu’il se serait soucié de garder la mémoire de ses propres textes…

« Ainsi nous voyons émerger une poésie lyrique qui fait une place privilégiée au sentiment, à l’émotion et également à l’humour, poésie qui trouvera sa plénitude en célébrant la fin’amor. Celle-ci est essentiellement exprimée dans un genre qui est la canso. L’art poétique se trouve au service de la dame, comme le chevalier l’est à son seigneur. Ce peut être une chanson gaie, dépeignant l’amour heureux. Mais le plus souvent, c’est une chanson triste évoquant l’amant repoussé par la dame sans merci ou le départ de l’être aimé. Elle est souvent un hommage poétique réclamant une protection et parfois aussi, le poète se plaint des médisants qui troublent les sentiments en semant le doute et la jalousie.

« Enfin il faut citer la tenso qui est une sorte de joute poétique entre deux poètes qui se répondent d’une strophe à l’autre sur un sujet parfois scabreux ou amusant. Ces duels verbaux ont dû souvent occuper les soirées du duc d’Aquitaine et de ses compagnons. »

 Michel Dillange dans son livre « Guillaume IX d’Aquitaine le duc troubadour ».



Voici un extrait de Guillaume IX illustrant les propos précédents de Michel Dillange

Per son joi pot malaus sanar

E per sa ira sas morir

E savis hom enfolezir

E belhs hom sa beutat mudar

E-l plus cortes vilanejar

E-l totz vilas encortezir

 

Par sa joie elle peut soigner

Le malade et par sa colère

Le sain tuer, et l’homme sage

Rendre fou, le beau enlaidir,

Le plus courtois avilir,

Et le plus vilain anoblir

Guillaume  IX/ Texte retranscrit et traduit par Kathy Bernard dans son livre abécédaire Les Mots d’Aliénor

un abécédaire par une passionnée

 



La poésie de Guillaume IX a été retranscrite au XIV ème siècle par des moines et est ainsi arrivée jusqu’à nous à travers diverses traductions. Pour ma part, je préfère celles d’Albert Pauphilet dans l’anthologie de poésie française de Jean Orizet. Les extraits en langue originale sont extraits du livre de Katy Bernard. Ces deux poèmes sont les plus connus. Ils nous disent beaucoup de l’époque, du personnage.

un livre de chevet

 

Dans cette chanson ci-dessous (chanson IV), Guillaume IX réussit la prouesse, par ce choix d’approche poétique centrée sur la négation, à dire mieux que personne ce qui lui tient à cœur, entre joie et tristesse et nostalgie du temps qui passe :

 

Farai un vers de dreit nien

 

Farai un vers de dreit nien

Non er de mi ni d’autra gen

Non er d’amor ni de joven
ni de ren au

Qu’enans fo trobatz en dormen

Sus un chivau

 

Je ferai vers sur pur néant,

Ne sera sur moi ni sur autre gent,

Ne sera sur amour ni sur jeunesse

Ni sur rien d’autre ;

Je l’ai composé en dormant

Sur mon cheval.

 

No saien qualhora-m fui natz

No soialegres ni iratz

No soi estranh ni soi privatz

Ni no-n puesc au

Qu’enaissi fui de nueitz fadatz

Sobr’un pueg au.

 

Ne sais en quelle heure fus né

Ne suis allègre ni irrité

Ne suis étranger ni privé

Et n’en puis mais,

Qu’ainsi fus de nuit doté par les fées

Sur un haut puy.

 

No sai cora-m fui endormitz

Ni cora-m veill, s’om no mo ditz

Per pauc no m’es lo cor partitz

D’un dol corau

 

 

Ne sais quand je suis endormi

Ni quand je veille, si l’on ne me le dit

A peu ne m’est le cœur parti

D’un deuil poignant

Et n’en fais plus cas que d’une souris

Par saint Martial.

 

Malade suis et me crois mourir

Et rien n’en sais plus que n’en entends dire,

Médecin querrai à mon plaisir

Et ne sais quel

Bon il sera s’il me peut guérir

Mais non si mon mal empire.

 

J’ai une amie, ne sais qui c’est ;

Jamais ne la vis, sur ma foi

Rien ne m’a fait qui me plaît, ni me pèse

Ni ne m’en chaut,

Que jamais n’y eut Normands ni Français

En mon hôtel.

 

Jamais ne la vis et je l’aime fort,

Jamais ne me fit droit ni ne me fit tort

Quand je ne la vois, bien en fait mon plaisir

Et ne l’estime pas plus qu’un coq

Car j’en sais une plus belle et plus gentille

Et qui vaut bien plus.

 

J’ai fait ce poème, ne sais sur quoi

Et le transmettrai à celui

Qui le transmettra à autrui

Là-bas vers l’Anjou,

Qui le transmettra de son côté

A quelqu’un d’autre.

(traduction : Albert Pauphilet)/ Le livre d’or de la poésie française/ Jean Orizet

***

 

Dans cette chanson XI, qui fut la dernière connue, écrite en forme d’adieu, c’est l’émotion qui est là à fleur de peau. En voici un extrait.

 

Pos de chantar m’es pres talenz

 

Pos de chantar m’es pres talenz

Farai un vers don sui dolenz

Mais non serai obediens

En Peitau ni en Lemozi

 

Puisque de chanter m’a pris l’envie

Je ferai un poème dont suis dolent

Jamais plus ne serai servant

En Poitou ni Limousin.

 

Qu’era m’en irai en eisil

En granpaor, en grand peril

En guerra laisserai mon fil

E faran-li mal siei vezi

 

Bientôt m’en irai en exil

En grande peur en grand péril ;

En guerre laisserai mon fils

Et mal lui feront ses voisins.

 

Le départ m’en est si amer

Du seigneurage de Poitiers

La garde en laisse à Foulques d’Angers

Toute la terre et son cousin.

 

Si Foulques d’Angers ne le secourt

Et le roi dont je tiens mon honneur

Lui feront du mal plusieurs

Félons Gascons et Angevins .

 

Et s’il n’est bien sage ni bien preux

Quand je serai parti de vous

Bientôt ils s’en feront un jeu

Car le verront jeune et chétif.

 

Merci quiers à mon compagnon

Si je lui fais tort qu’il me pardonne

Et je prie Jésus sur son trône

Et en roman et en latin.

 

En prouesse et en joie je fus

Mais je les quitte l’une et l’autre

Et je m’en irai vers celui

Où tout pêcheur trouve la paix.

 

Bien ai été joyeux et gai

Mais Notre Seigneur ne le veut plus

Et plus n’en puis souffrir le faix

Tant je m’approche de la fin.

 

Tot ai guerpit can amar sueill

Cavalaria et orgueill

Et pos Dieu platz tot o accueill

E prec-li que-m reteng’am si

 

J’ai tout laissé ce que j’aimais

Et chevalerie et orgueil

Puisqu’il plaît à Dieu, j’accepte tout

Et prie qu’il me retienne à Lui.

 

Toz mos amics prec a la mort

Que-i-vengan tuit e m’onren fort

Qu’ieu ai agut joi e deport

Loing e pres et en mon aizi

 

Tous mes amis prie qu’à ma mort

Ils viennent tous et m’honorent

Car j’ai eu joie et plaisir

Loin et en mon aître

 

Aissi guerpisc joi e deport

E vair e gris e sembeli.

 

Et j’ai laissé joie et plaisir

En vair, et petit gris et zibeline.

(traduction Albert Pauphilet/Le livre d’or de la poésie française/ Jean Orizet

 

Après la mort de Guillaume IX d’Aquitaine, Eble II de Ventadour, continuera en toute fidélité à rendre hommage à ce premier troubadour, à chanter les chansons de Guillaume IX d’Aquitaine.

***

à suivre…

 

Aliénor duchesse d’Aquitaine 1122- 1204

 

Je ne suis pas historienne et ne souhaite pas donner à lire une pâle copie des écrits longuement et sérieusement documentés ; simplement, ma rencontre avec Aliénor d’Aquitaine et ma passion pour le personnage datent du début des années 70 et je n’ai cessé depuis de m’intéresser à elle et à son époque. Ma première rencontre a eu lieu lors de mes débuts d’enseignante. Il fut un temps où on ne parlait plus d’Histoire et de Géographie mais « d’activités d’éveil » devant s’appuyer sur les ressources locales en lien avec l’Histoire ou la Géographie.

Je me trouvais alors à l’endroit-même où la tradition orale fait naître Aliénor d’Aquitaine en son château de Belin( Gironde). Me vient à l’idée qu’en Gironde on a parfois le terme de château facile, et s’il en existe de grands qui ont marqué l’Histoire, c’est aussi une appellation pour le vin, la propriété n’ayant pas toujours l’aspect féodal d’un château. Alors quid de ce château de Belin?

Depuis les années 70, vinrent d’autres parutions, d’autres lectures, plus actualisées, une conférence « Dans les pas d’Aliénor d’Aquitaine » organisée par Bordeaux Monumental en 2004, à l’occasion du 800 ème anniversaire de sa mort ; des romans grand public firent sensation ; je laissai ceux-ci bien vite de côté, tout comme les BD, intéressantes, distrayantes, sans plus. On commençait à faire feu de tout bois avec le personnage d’Aliénor dont je comprenais qu’il faisait recette.

Je lis, je relis, je suis un peu fâchée avec les dates, tant la longue vie d’Aliénor ou plutôt ses vies successives se révèlent proches d’un tourbillon où dominent l’énergie, la culture, le sens politique, la longévité, le sens de la famille et du territoire et bien d’autres aspects encore…

Je comprends mieux maintenant certains épisodes de sa vie, je m’interroge.

Au fil des ans, certains lieux qu’elle a marqués de son empreinte, s’imposent à la visite ou apparaissent fortuitement au gré des voyages.

Au cours de ma carrière d’enseignante, j’ai aussi rencontré deux petites Aliénor adorables : un prénom difficile à porter, j’en conviens. J’aurais souhaité le donner à ma fille en deuxième prénom. Si nous en avions eu une elle aurait eu pour prénoms Isaline Aliénor… La vie en a décidé autrement et notre fils porte le prénom d’un des dix enfants d’Aliénor.

Lorsqu’il me fallut prendre un pseudo pour écrire sur le net, tout naturellement je choisis Aliénor aussi.

Mais au jour d’aujourd’hui, je suis un peu déçue car on donne ce prénom à qui mieux mieux : le voilà scandaleusement galvaudé car signalant une zone d’activités, une société lamda de nettoyage, de transport, le nom de la Maternité voisine. Hier j’ai même vu sur le journal une entreprise de Pompes funèbres Aliénor… Je pense que loin d’être le reflet d’une passion, il s’agit plutôt de se retrouver en tête des rubriques sur l’annuaire des professionnels. L’appellation la plus noble à ma connaissance, est peut-être celle d’une école de formation de chiens pour aveugles.

Je n’affirmerai donc plus, d’après des écrits datés de 1957, comme je pouvais le faire dans les années 70, qu’Aliénor est née à Belin mais peut-être à Bordeaux ou bien à Poitiers, et je comprends bien que chacun a intérêt d’un point de vue touristique à tirer la couverture à soi. Qu’importe ! Tous ces lieux sont aujourd’hui au cœur de la Nouvelle Aquitaine.

Je citerai mes lectures à la fin de ce thème mais je  m’appuie assez souvent sur les livres de RÉGINE PERNOUD qui cite ses sources en fin du livre « ALIÉNOR d’AQUITAINE » et tient à ajouter ceci soit dans la préface du livre, soit dans sa conclusion :

« Précisons en tout cas que dans les dialogues et paroles rapportées il n’y a pas une phrase, pas un mot de notre invention : tout est tiré des textes du temps ; c’est assez dire que le présent travail ne vise aucunement au roman, et suivant pas à pas une vie romanesque s’il en fut, reste simple étude d’historien. »

Par ailleurs, elle écrit que malheureusement, les études très sérieuses ne sont pas accessibles au public et font l’objet de communications entre historiens dûment patentés.

« Lettres, chartes et rôles de comptes fournissent une foule de détails puisés dans la vie même et révèlent souvent toute une psychologie »

Ainsi que « chroniqueurs et annalistes » d’époque.

« Quoi qu’il en soit, nous nous sommes abstenu de prendre le ton du censor morum, et nous nous excusons de manquer ainsi aux usages. Le lecteur voudra bien y suppléer.

« A moins que, mis en présence de ce que nous apportent les documents, il ne sente, comme nous l’avons été nous-même, moins enclin à juger qu’à comprendre. »

La démarche de Régine Pernoud a tout pour me plaire.

J’ai pu voir, dans l’article précédent qu’Aliénor d’Aquitaine est connue au-delà de nos frontières… J’en éprouve un grand plaisir car en France, cela ne me paraît pas aussi évident.

Le temps est venu pour moi, de lui rendre hommage.

                                                                                         Ces photos ont été prises en 2003. L’aspect du village est encore proche des années 70.

Je commencerai par évoquer ce village de Belin avec deux liens officiels qui nous donnent l’occasion d’apercevoir la butte sur laquelle se trouvait ce fameux château de Belin.

http://www.belin-beliet.fr/index.php/content/view/408/507/

http://www.belin-beliet.fr/index.php/content/view/407/506/

Vous y lirez la réalité d’une charte octroyée par Aliénor aux belinetois, preuve s’il en est qu’elle tenait à ce lieu d’une façon ou d’une autre.

Ce village a changé aujourd’hui de nom ou plus précisément il s’est uni à Beliet pour donner le village de Belin-Beliet . Il s’est réveillé et le nom d’Aliénor y résonne en plein d’endroits.

photo récente

il y a aussi une avenue des Plantagenet.

 

Belin est situé sur le chemin de Compostelle( voie de Tours) et non loin de là, un peu plus au sud se trouve l’église de Mons qui existait du temps d’Aliénor ; l’église de Mons est aussi est au cœur d’une légende : plusieurs compagnons de Roland y auraient été enterrés après le massacre d’Espagne.

l’église de Mons(33)

Nous sommes ici en terre de contes, d’histoires, de légendes… Et lorsque la grande Histoire rencontre les petites histoires…

A suivre…