Le Testament d’Aliénor

 

Début juillet, nous avons assisté à la représentation d’une pièce de théâtre conçue par KATHY BERNARD et SANDRINE BIYI et présentée par la SOCIÉTÉ DES AMIS D’ALIÉNOR.

Je n’ai connu ce projet que tardivement, lorsque la date du spectacle était déjà fixée et ceci grâce à un article du journal SUD-OUEST consacré à KATHY BERNARD et son livre « LES MOTS D’ALIÉNOR ».

J’ai réussi à avoir deux places sur le fil du rasoir, juste quelques heures avant le spectacle et j’en remercie KATHY BERNARD et son équipe. Pour rien au monde je n’aurais voulu rater cela.

Kathy Bernard me dédicace le livre

Après une séance de dédicace du livre *« LE NÉANT ET LA JOIE » à laquelle KATHY BERNARD s’est prêtée de bonne grâce, malgré l’imminence du spectacle, nous sommes entrés dans le noir quasi complet de la salle, entourés de brume propice au rêve.

Dans cette ambiance, seul le gisant « vivant » d’Aliénor captait toute la lumière.

Un petit clin d’œil au gisant d’Aliénor d’Aquitaine de l’abbaye de FONTEVRAUD et à sa réplique au musée d’Aquitaine de BORDEAUX.

Nous étions donc en condition, plongés dans une atmosphère spéciale et quasi mystique, pour un voyage dans le temps entre le Moyen-Âge et l’époque actuelle.

Soudain, Aliénor d’Aquitaine revient à la vie, se lève et tout resplendit. Soudain apparaît Jean Sans Terre, son dernier fils (1166-1216) un personnage que je ne connaissais que dans les grandes lignes et sur lequel je ne m’étais pas encore penchée.

Nous avons été pris aux tripes, enchantés, presque cloués sur place par la qualité de l’ensemble, l’audace de ce pont entre les siècles. Nous aurions voulu un spectacle infini. C’est grisant de remonter ainsi le temps.

La mise en lumière, la présence intense des deux acteurs figurant Aliénor et son fils Jean Sans Terre, la mise en musique rock des chansons de Guillaume IX Le Troubadour, grand-père d’Aliénor sont très aboutis. Chaque détail compte.

L’Histoire, ce 6 juillet 2018, était au rendez-vous, la poésie aussi. Grâce aux acteurs, nous ressentions le poids des relations entre la mère et le fils, les tensions, et les conséquences des actes. Les acteurs étaient transfigurés.

Les deux acteurs nous ont emportés dans les dialogues de sourds entre mère et fils, dans le chassé-croisé, dans le jeu scénique, les fuites, l’expression de la colère et du ressentiment, l’amour aussi qui sait pardonner tant d’errements. Jean Sans Terre et Aliénor allaient-ils croiser leur regard au moins une fois, pour un début d’entente ou de pardon ou bien allaient-ils camper sur leurs positions jusqu’à la mort de la Reine ?

Aux deux acteurs FLORENCE COUDURIER et CHRISTOPHE ROSSO, il faut ajouter le talent des membres du THE VERY BIG SMALL ORCHESTRA.

La pièce de théâtre se termine comme elle avait commencé , avec Aliénor retournant à la mort et se fondant dans son gisant. La magie opère jusqu’au bout avec ce passage de la fougue à la lenteur allant jusqu’à l’immobilité et au retour difficile au XXIème siècle.

Il est à noter que le chapitre consacré par KATHY BERNARD à JEAN SANS TERRE dans le livre LES MOTS D’ALIÉNOR, contenait en germe la pièce de théâtre qui en a découlé. KATHY BERNARD avait pris le parti de s’adresser à JEAN SANS TERRE, pour faire connaître ce dernier fils d’Aliénor et d’Henri II, surnommé « Sans Terre » car né trop tard dans la vie du couple royal.et non doté Lors de la capture d’Aliénor, Jean Sans Terre était enfant, il avait 7 ans. Il fut élevé hors de la présence de sa mère qu’il n’avait qu’entraperçue. JEAN SANS TERRE, personnage tourmenté qui ne fut ni tout blanc, ni tout noir eut des raisons pour être mal-aimé de l’Histoire, mais donna aussi des raisons à l’Histoire de garder un souvenir contrasté de son comportement.

 

J’espère que ce spectacle de théâtre-rock, hautement pédagogique, continuera sur sa lancée et sera montré dans les villes et les établissements scolaires de la Gironde. Pour notre part, nous serions partants pour le revoir.

 

*LE NÉANT ET LA JOIE , CHANSONS DE GUILLAUME D’AQUITAINE

édition bilingue occitan-français

Présentation et traduction de KATHY BERNARD

 

entrée dans la citadelle

Blaye, inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco dont l’origine remonte à l’époque gallo-romaine, a une très belle devise : » Étoile et clé de l’Aquitaine »

vue depuis l’estuaire

Elle a en effet une position stratégique sur l’estuaire de la Gironde. D’elle, on connaît surtout aujourd’hui la citadelle édifiée sous les ordres de Vauban et typique de ces forteresses défensives en étoile. A l’intérieur de la citadelle, subsistent les ruines du château des Rudel.

Le château initial avait été détruit par le grand-père d’Aliénor,Guillaume IX du temps où Jaufré Rudel était enfant et fut reconstruit durant le règne du père d’Aliénor, Guillaume X.

les remparts

 

Au moment où Aliénor et Louis quittent Bordeaux pour Poitiers en passant par Saintes, puis s’arrêteront au château de Taillebourg tenu par Geoffroy de Rancon, où ils passeront leur nuit de noces, L’Histoire ne nous dit pas quelle route prit le couple royal parti de Bordeaux via Saintes, puis Taillebourg où l’on pouvait franchir la Charente.Louis et Aliénor ont-ils traversé la Garonne vers Lormont où se trouvait le camp royal? Il leur fallait de toute façon encore franchir la Dordogne en absence de tout pont. Ont-ils fait route ensuite directement vers Saintes ou ont-ils fait une halte dans le château des Rudel à Blaye ?

l’intérieur de la citadelle

Durant la deuxième croisade, menée par Louis VII et Aliénor, nombre de chevaliers poitevins prendront la croix dont Geoffroy de Rancon. Parmi la suite du comte de Toulouse, se trouvait le troubadour  poète, Jaufré Rudel,(1100-1148 )prince de Blaye, chantre de cet amour lointain : « Amor de lonh ».

Qui ne se souvient parmi nous d’avoir croisé les vers de Jaufré Rudel et surtout sa légende ? Beaucoup de princes de Blaye s’appelèrent ainsi mais lui semble être le deuxième portant ce nom.

vue sur les toits

Jaufré Rudel , selon la légende,ne revint jamais à Blaye car il serait mort dans les bras de la comtesse de Tripoli (comtesse ou princesse, selon les sources) pour laquelle il se mourait d’amour sans l’avoir jamais vue. iI aurait endossé le rôle de croisé, pour partir sur ses traces,simplement après avoir entendu parler en bien de la dame par les pèlerins qui revenaient d’Antioche.

« Que nul ne s’émerveille de moi

Si j’aime ce qui jamais ne me verra,

Qu’en mon cœur il n’y a joie d’autre amour

Que de celle que jamais je ne vis,

Et pour nulle joie ne m’en réjouis,

Et ne sais quel bien m’en viendra »

 

Au cours de la croisade, malade et dans un état critique, Jaufré Rudel aurait été transporté à Tripoli où apercevant sa bien-aimée il recouvra l’odorat et l’ouïe, juste avant de mourir dans ses bras. Il fut enseveli sur place et elle se fit nonne le jour-même !

 

« Bien sais que d’elle jamais n’ai joui

Ni qu’elle jamais de moi ne jouira,

Ni pour son ami ne me tiendra,

Ni promesse ne m’en fera ;

Ni ne me dit vrai, ni ne me mentit

Et ne sais si jamais le fera. »

la rue principale

Si la vie de Jaufré Rudel a permis de telles suppositions romantiques et la naissance d’une telle légende c’est que contrairement à d’autres biographes ayant écrit sur d’autres troubadours, l’auteur de sa biographie est ici anonyme.

« Le rédacteur de sa « vida » perçut que, pour Jaufré Rudel, le vrai amour, est celui qu’il n’a pas encore vu, celui qui n’est pas encore fixé dans une image, qui échappe à la connaissance pour s’inscrire dans l’éternité d’un désir, dans l’excellence d’un chant. » KATHY BERNARD/ Les Mots d’Aliénor

                                                        *

Pour terminer ce billet, sans doute le poème le plus connu de Jaufré Rudel

Amour lointain

 

Lorsque les jours sont longs en mai

Me plaît le doux chant d’oiseaux lointains

Et quand je suis parti de là

Me souvient d’un amour lointain ;

Lors m’en vais si morne et pensif

Que ni chants, ni fleurs d’aubépines

Ne me plaisent plus qu’hiver gelé.

                           *

Je tiens bien pour seigneur de vrai

Celui par qui verrai l’amour lointain ;

Mais pour un bien qu’il m’en échoit

J’en ai deux maux, tant m’est lointain.

Ah, fussé-je là pèlerin,

Que mon bâton et ma couverte

Puissent être vus de ses beaux yeux !

                           *

Joie me sera quand je lui querrai,

Pour l’amour de Dieu, d’accueillir l’hôte lointain,

Et s’il lui plaît m’hébergerai

Auprès d’elle, moi qui suis lointain,

Alors seront doux entretiens

Quand l’hôte lointain sera si voisin

Que les doux propos le soulageront.

                             *

Triste et Joyeux m’en séparerai,

Si jamais je la vois, de l’amour lointain

Mais je ne sais quand la verrai,

Car trop en est notre pays lointain :

D’ici là sont trop de pas et de chemins ;

Et pour le savoir, ne suis pas devin

Mais qu’il en soit tout comme à Dieu plaira.

                             *

Jamais d’amour je ne jouirai

Si je ne jouis de cet amour lointain,

Je n’en sais de plus noble, ni de meilleur

En nulle part, ni près ni loin ;

De tel prix elle est, vraie et parfaite

Que là-bas au pays des Sarrasins,

Pour elle, je voudrais être appelé captif !

                        *

Dieu qui fit tout ce qui va et vient

Et forma cet amour lointain,

En vérité en tel logis

Que la chambre et que le jardin

Me soient en tout temps un palais.

                       *

Il dit vrai qui m’appelle avide

Et désireux d’amour lointain,

Car nulle joie ne me plaît autant

Que jouissance d’amour lointain.

Mais ce que je veux m’est refusé,

Car ainsi me dota mon parrain,

Que j’aime et ne suis pas aimé.

                         *

Mais ce que je veux m’est refusé ;

Qu’il en soit maudit le parrain,

Qui me dota de n’être pas aimé.

 

Le livre d’or de la poésie/ JEAN ORIZET traduction Albert Pauphilet.

La ville basse vue depuis la citadelle

 

à suivre…