Que celui qui a jeté un sort
à notre vieux tracteur
porte avec lui vingt ans de malheur,
car il n’est pas encore mort
c’est juste qu’il tousse un peu
de fumée bleue
pendant l’effort!
Il a une bonne bouille,
et la face mure
tournée vers l’azur
malgré quelques taches de rouille.
Il vivra encore quelques années
avec ce vieux corps
il est encore très fort,
et n’est pas encore condamné:
malgré quelques fuites
je pleurerai sa bonne tête
car il lui faudra prendre retraite
très proche de l’âge limite…
René C
*

Voici ma réponse à René
qui est venu réveiller le souvenir de notre bon vieux Zetor
profondément endormi sur l’airial au bois dormant.
René, tu es aussi venu avec force clins d’œil et
beaucoup de gentillesse et de poésie
briser mon mur de silence.
Et tant pis si maintenant je dis avec maladresse le non-chemin parcouru
car il faudra me pardonner la boiterie des mots que j’accrocherai cahin-caha.
Je ne manquerai pas de souligner aussi la similitude de prénom
entre le René poète et le René homme de la forêt qui fut le premier conducteur
de la dite machine.
Mais enfin…
Il a bien fallu s’y résoudre. il a fallu jeter l’éponge l’été dernier,
ou plutôt jeter une couverture pudique sur le moteur de Zetor
comme sur un vieux cheval perclus de maux.
On t’a installé, non sans mal, dans ce hangar près de l’ancienne étable
où ne dorment plus la Stélic et la Jolie au pelage blanc et noir de mon enfance.
Zetor, te voilà à la retraite avec pour toute compagnie
les araignées, les chevreuils venus dévorer les jeunes chênes
et les taupes souffleuses qui ne redoutent plus les trépidations de la machine.
De temps en temps, tu vois passer Mademoiselle, la poule des voisins:
elle se rit des frontières du voisinage et se prend pour une fille de l’air.
A quelques mètres de toi; les sangliers s’enhardissent de plus en plus
et le faisan vient prendre son bain de sable et de soleil.
La pluie, par temps d’hiver fait grossir le ruisseau à tes côtés
tandis que l’été apporte le crissement des cigales et les odeurs de menthe.
Te voilà de loin en loin, traversé par des moments de lassitude
lorsque avec un pincement au moteur, tu vois s’élancer le Petit Bleu fougueux
qui est venu te remplacer après t’avoir installé dans ta dernière demeure.
Lorsque tu l’as vu arriver par la route, tes phares ont dû croire à l’hallucination
mais tu as vite compris qu’il allait se pousser du col pour s’imposer!
Aujourd’hui,un an est passé et bon prince tu le reconnais: il nous a bien aidés!
Il apprend vite à partir à l’assaut des ajoncs gros comme mon pouce
ou des ronces vigoureuses et traîtres par habitude… Je te vois rire sous cape:
il est si fluet qu’il semble parfois disparaître dans la végétation,
mais sa nervosité remplace tes chevaux et… Finalement, finalement
c’est de bonne guerre: il fait du bon travail!
27/06/2022