La littérature a toujours été une arme de résistance, un moyen de se retrouver autour d’idéaux communs. Plus que jamais, il me semble important d’écouter la voix des poètes, des écrivains, qui ont vu, ou bien d’hommes qui comme Boris Cyrulnik nous mettent en garde contre le fanatisme, « la soumission euphorisante » et les catalogues « de mots à réciter sans penser ».
*
Un poème qui prend toute sa force lorsqu’on le lit à haute voix:
Oradour
« Oradour n’a plus de femmes
Oradour n’a plus un homme
Oradour n’a plus de feuilles
Oradour n’a plus de pierres
Oradour n’a plus d’église
Oradour n’a plus d’enfants
Plus de fumée plus de rires
Plus de toits plus de greniers
Plus de meules plus d’amour
Plus de vin plus de chansons.
Oradour, j’ai peur d’entendre
Oradour, je n’ose pas
approcher de tes blessures
de ton sang de tes ruines,
je ne peux je ne peux pas
voir ni entendre ton nom.
Oradour je crie et hurle
chaque fois qu’un coeur éclate
sous les coups des assassins
une tête épouvantée
deux yeux larges deux yeux rouges
deux yeux graves deux yeux grands
comme la nuit la folie
deux yeux de petits enfants :
ils ne me quitteront pas.
Oradour je n’ose plus
Lire ou prononcer ton nom.
Oradour honte des hommes
Oradour honte éternelle
Nos cœurs ne s’apaiseront
que par la pire vengeance
Haine et honte pour toujours.
Oradour n’a plus de forme
Oradour, femmes ni hommes
Oradour n’a plus d’enfants
Oradour n’a plus de feuilles
Oradour n’a plus d’église
Plus de fumées plus de filles
Plus de soirs ni de matins
Plus de pleurs ni de chansons.
Oradour n’est plus qu’un cri
Et c’est bien la pire offense
Au village qui vivait
Et c’est bien la pire honte
Que de n’être plus qu’un cri,
Nom de la haine des hommes
Nom de la honte des hommes
Le nom de notre vengeance
Qu’à travers toutes nos terres
On écoute en frissonnant,
Une bouche sans personne,
Qui hurle pour tous les temps. »
Jean Tardieu, Les Dieux étouffés (1944)
*
« Nous n’irons plus à Compostelle
Des coquilles à nos bâtons
A saints nouveaux nouveaux autels
Et comme nos chansons nouvelles
Les enseignes que nous portons
Que nos caravanes s’avancent
Vers ces lieux marqués par le sang
Une plaie au coeur de la France
Y rappelle à l’indifférence
Le massacre des Innocents
Vous qui survivez à vos fils
En vain vous priez jour et nuit
Que le châtiment s’accomplisse
Et la terre en vain crie justice
Le ciel lui refuse la pluie
O mamans restées sans amour
Sur les tombes de vos héros
La même lumière du jour
Baigne les ruines d’Oradour
Et les yeux vivants des bourreaux
Aux berceaux d’Oradour demain
Pour qu’on ne revoie plus la guerre
Semer la mort comme naguère
Dans le monde entier se liguèrent
Près d’un milliard de cœurs humains
Que la paix ouvre enfin ses vannes
Et le peuple dicte ses lois
Nous les faiseurs de caravanes
T’apportons Oradour-sur-Glane
La colombe en guise de croix . »
Louis Aragon Juin 1949
*
Parce que…
« Devenir lecteur c’est oser rencontrer quelqu’un qui n’est pas comme soi et qui me fait découvrir un autre monde. Alors je peux découvrir le monde d’une autre civilisation, d’une autre pensée et je me mets à douter et le doute c’est le premier pas vers la liberté… »
Boris Cyrulnik / émission La Grande Librairie, juste après les attentats.
Après la visite d’Oradour-sur-Glane, après les attentats, j’ai cherché, comme beaucoup d’entre nous à comprendre. Allais-je relire Yasmina Khadra et « Les sirènes de Bagdad « ? Mon choix s’est finalement porté sur « La Peste » de Camus, dont je veux ici donner à méditer la conclusion :
“Écoutant, en effet, les cris d’allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait, où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse.”
La victoire sur un fléau n’est jamais définitive. La racine du mal n’est jamais éradiquée d’où l’importance pour chacun d’entre nous d’accomplir notre devoir de mémoire :
» La mémoire est une chambre noire dans laquelle se joue l’histoire, et tente, aujourd’hui, de se faire un peu de jour. Sur le lieu de l’impensable, tout regard est une question. Voir Oradour, c’est prendre sur soi un peu du poids de l’histoire. Ainsi vont les visiteurs dans les ruines.
Gilles Plazy, journaliste, écrivain
Pour qu’il ne reste pas que des ombres…
*FIN*
VIGILANCE.