« Et des nuages très haut dans l’air bleu

qui sont des boucles de glace

la buée de la voix

que l’on écoute à jamais tue » *

*^¨*¨¨*

Lettre à notre vieux Zetor, 40 chevaux sous le capot.

Au cours de ces dernières années, tu avais repris du service, mais te voilà rattrapé par l’âge.

Tu as connu tes heures de gloire dans les années 70 passant des prairies de marais aux prés à vaches, du travail en forêt aux transport de paille, des champs de pommes de terre, maïs et citrouilles au sauvetage des voitures en perdition dans les fossés.

Il paraît qu’un jour, la Dame aux Fleurs t’avait paré, ainsi que ta charrette, de mille couleurs, de mille fleurs, afin de faire de l’anniversaire d’une petite voisine un jour inoubliable.

Tu devais être bien fier de porter, au milieu des rires et des cahots, pour un doux frisson de « même pas peur » tous les enfants présents. Tu les conduisis jusqu’à la cabane de l’ogre, ainsi dénommée par notre fils nourri de contes.

A l’époque, le tracteur, c’était le travail et tu ne pensais pas à faire de même, de manière festive, avec le petit-fils de la maison. Alors il avait fallu insister un peu pour donner à un dimanche un parfum particulier de lande et de bruyère… Enfin, toi, tu étais sans doute partant, mais le Papi conducteur, ça le faisait rire. De son temps…

Cher Zetor, tu perdis ton maître et rien ne fut plus jamais pareil.

La Mamie aux Fleurs t’aurait bien vendu, mais pour nous, ce n’était pas la même histoire. Malgré les aléas personnels, nous étions bien décidés à continuer!

C’est ainsi que tu as retrouvé un conducteur, par intermittence, certes, mais plein de bonne volonté.

Et toi, tu faisais de ton mieux dans la forêt, gardant la trace des chemins, portant divers matériaux sur ton antique charrette.

Je t’ai même vu servant de support à la grande échelle afin de permettre à l’Homme de tutoyer les cimes et les élaguer, tronçonneuse à la main.

Oh bien sûr, tu avais attrapé quelques manies! Notamment celle de t’arrêter n’importe où, n’importe quand, et de ne pas redémarrer; cela ne te serait jamais arrivé avant mais tant pis pour toi: tu as parfois dormi dans la forêt! Il nous fallait revenir le lendemain, avaler les km et assister à ton redémarrage, frais comme un gardon.

Parfois, tu te sentais si bien dans le chemin des Houx que tu y piquais un roupillon, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, restant sourd au klaxon des voitures.

Quand cela t’arrivait sur l’airial, ce n’était pas bien grave, mais les gens ont dû nous prendre pour des originaux de te laisser dehors.

Sacré garnement!

Évidemment, on te fit réparer et le spécialiste te remit en état comme il put. C’était un passionné de vieux engins.Tu fus même chaussé de neuf! Tu avais dû marcher par inadvertance sur un bout de verre bien acéré servant, à notre grand dégoût, nous, lecteurs de La Hulotte, à soi-disant régler leur sort aux taupes.

Nous savions que l’embellie ne durerait pas autant que le marché de Dax, mais il est permis d’espérer, n’est-ce pas?

Tu n’avais plus de freins, mauvais garnement, mais tu faisais encore grandement l’affaire avec ton rouleau landais, ton gyrobroyeur, ta nouvelle charrette, construite maison, plus légère à atteler par un homme seul. Tu tirais des arbres, tu aplanissais le terrain, tu allais de-ci de-là, au moins une fois par semaine.

Un jour d’août de je ne sais quelle année, on organisa même une sortie surprise avec famille et amis.

amis, famille et chiens en goguette
une première aux commandes

Jusqu’au jour où…

Début mars 2020, tu avais tant à faire que tu partis dans les plantations, sans tenir compte du terrain spongieux et tu y restas! Pire, tu t’enfonçais encore plus si on tentait de t’en sortir.

Il fallut toute l’amitié d’un autre sylviculteur et le matériel adéquat pour te sortir de l’ornière.

Tu rentras, plein gaz au garage dans la nuit noire… et …

*¨¨*¨¨*

«  J’aurai cette marque sur moi

de la nostalgie de la nuit

quand même la traverserais-je

avec une serpe de lait« *

*¨^*^*

Ce n’était pas encore le confinement mais c’était une question de jours.

Pauvre de toi! Tu as dû te sentir abandonné du genre humain au fond de ton garage.

La Dame aux Fleurs (et ses 95 printemps d’alors) a quitté les lieux deux jours après le confinement. Elle ne savait pas encore qu’elle ne reviendrait plus. Nous non plus.

Comme tout un chacun, nous avons pris notre mal en patience mais notre vie a été bouleversée.

Mon vieux Zetor, ainsi s’est achevée ton existence de tracteur. Tu n’as plus jamais démarré et nous n’avons trouvé absolument personne pour s’occuper de toi. Nous avons tapé à plein de portes: la panne est identifiée, les pièces pas forcément disponibles, le montant des réparations sans doute conséquent au vu de ton âge…

ET NOUS NE FAISONS PAS LE POIDS face aux contrats qui lient les réparateurs potentiels à l’agroalimentaire, aux grands domaines.

Un demi-siècle de bons et loyaux services… Fin de l’histoire.

Et nous voilà bien ennuyés!

« Il y aura toujours dans mon œil cependant

une invisible rose de regret

comme quand au-dessus d’un lac

a passé l’ombre d’un oiseau« *

*^*^*

*Les extraits poétiques sont toux extraits du livre L’ENCRE SERAIT DE L’OMBRE »

de PHILIPPE JACCOTTET.

Juste pour lui rendre un hommage discret mais ô combien mérité.

« Tu peux être Dieu des chiens, Dieu des chats, Dieu des pauvres. Il te suffit d’une laisse, d’un peu de mou, de quelque fortune, mais tu ne seras jamais maître de l’arbre. Tu ne pourras jamais que vouloir devenir arbre à ton tour.

Georges Perec

Je reprends le fil de la reforestation là où je l’avais laissé, fin 2019.

au printemps de quoi rêvais-tu?

Dans les parcelles replantées au printemps 2018, qui se trouvent sur d’anciens champs de la ferme, c’est une tout autre histoire que dans les plantations de landes.

Mais où sont donc les petits pins? Cachés…

A l’automne 2018 et au printemps 2019, cela nous a donné beaucoup de fil à retordre. La composition du sol étant différente, au printemps, il y pousse de grandes plantes invasives qui finissent par cacher les petits pins, malgré le passage du tracteur équipé du débroussailleur rotatif.

ça cahote avec Zetor

Nous avons tenté l’arrachage manuel ensuite, mais peine perdue.Les plantes ont eu le dernier mot et peut-être est-ce un bien pour un mal. L’avenir le dira et nous avec car nous découvrons l’avenir des plantations au fil des saisons. En tous cas, les petits pins étaient invisibles l’été, pour nous et pour les nuisibles.

AUTOMNE 2018 et début d’hiver: avec la saison douce, sans gelée notable, les chevreuils et les sangliers s’en sont donné à cœur-joie.

le fourreau

Nous avions fait protéger les plantations de 2018 par un fourreau contre les lapins sauvages… que nous n’avons jamais vus depuis.

traces et pin à terre

Cela ne nous fut pas d’un grand secours devant l’activité infernale et récurrente des sangliers. Les parcelles étant bordées de chênes, les sangliers venaient labourer le terrain pour trouver les vers restés proches de la surface par absence de gelées et bien sûr les glands.

des laboureurs de première!

Terrain retourné, jeunes plantations arrachées par sans doute la laie et les marcassins, entre mes passages, les jeunes pins restaient une semaine les racines à l’air!

parfois, ils poussent mieux hors du fourreau

Chaque semaine, jusqu’à l’été 2019, j’ai parcouru le terrain, essayant de replanter les pins, parfois jusqu’à 80 à la fois. Il a fallu en remplacer un certain nombre.

Certains jours, je luttai aussi contre le vent qui couchait les jeunes plants devant mes yeux.

Sacrée galère…

Autant vous dire que la pousse s’en ressent! Beaucoup de jeunes plants sont morts, bien plus que ce qui était prévisible.

A la suite d’une lecture, nous avons même tenté quelque chose pour dissuader tout ce monde (sauf le vent : soupir!). Nous avons demandé à notre coiffeuse de garder le résidu des coupes de cheveux. J’ai alors confectionné des petits sacs de toile et nous les avons placés aux endroits de passage des suidés et des cervidés.

les petits sacs de jute

Cela semble marcher… A moins que les bêtes aient changé de restaurant… Ou que les Herbes aient rendu les pins invisibles!

un simple piquet

En tous cas, soyons positifs, j’ai pu constater en 2019, la présence de petites bêtes qui me ravissent: coccinelles, papillons divers. Et lorsque je parcours ces terres, je suis solitaire et heureuse. J’écoute le chant de la brise dans les chênes, je respire à pleins poumons, je me ressource. Au printemps, le chant du coucou m’accompagnait, mais je n’ai pas fait comme mon grand-père qui lorsqu’il l’entendait pour la première fois de la saison, se roulait dans l’herbe pour fêter le renouveau!

AUTOMNE 2019: depuis un mois maintenant, il pleut, il vente. Les pins ont les pieds dans l’eau. Les fossés débordent et nous ne pouvons voir encore les dégâts éventuels des tempêtes et des sols détrempés.

DÉBUT 2020: la situation n’a guère évolué, mais nous devenons fatalistes.

Je relis  » LA VIE SECRÈTE DES ARBRES » de Peter Wohlleben , lecture qui me bouscule parfois.

En conclusion, les arbres n’aiment pas les grands changements climatiques: trop d’eau en hiver asphyxie leurs racines, un déficit d’eau au cours des étés toujours plus chauds ne leur est pas bénéfique non plus.

Pour nous, plus de questions que de réponses, mais nous ferons tout pour préserver ces petits coins de forêt utiles à l’homme… si parfois, les éléments veulent être un peu de notre côté.

Vous l’aurez compris, à notre niveau, nous ne sommes pas dans une démarche de rentabilité; nous œuvrons pour le futur parce que nous connaissons les bienfaits de la forêt. Sans le plan Chablis (nettoyage et reboisement), nous n’aurions rien pu faire, ou très peu.

Légèreté de l’oiseau qui n’a pas besoin pour chanter de posséder la forêt, pas même un seul arbre

Christian Bobin

le travail de l’homme au printemps 2019

en 2017
Petits pins deviendront grands
en 2017

Le sort des jeunes plantations est différent selon les terrains. La première parcelle de lande replantée en 2015 est pour ainsi dire sans histoire. Les petits pins poussent et, au gré des saisons, nous admirons le vert tendre des aiguilles et la bruyère, essentiellement la bruyère cendrée (Erca cinerea). Elle voisine avec la callune qui est moins généreuse chez nous.

la callune
la bruyère cendrée

A la fin de l’été, à l’automne, les tapis roses odorants attirent l’œil: ça sent le miel, les abeilles bourdonnent: bientôt on pourra consommer le miel de bruyère.

comme par enchantement
Gros plan

Plus rare, la bruyère cendrée blanche, pousse à raison d’un pied, toujours au même endroit. Depuis que je parcours la lande, c’est-à-dire depuis l’enfance, j’ai dû rencontrer en tout et pour tout 3 ou 4 pieds de cette bruyère blanche et rare que je couve amoureusement du regard, ne m’autorisant qu’un prélèvement de quelques brins dans un gros bouquet rose à faire sécher. Pour moi, à chaque découverte, c’est un moment de pure émotion.

Cette année, le pied de bruyère blanche n’a pas refleuri.

dommage!

Cependant, ces jours-ci, nous avons découvert que les chevreuils sont venus se délecter des jeunes troncs.

Un chevreuil, c’est mignon, quand ça vient brouter les pommes sous un pommier, à 20 m de nous, alors que nous pique-niquons; mais dans les jeunes plantations, c’est définitivement NON! Ils grignotent la tendre cime du jeune plan, ou bien le tronc du jeune arbre condamnant l’arbre à végéter ou à mourir.

Soyons positifs! J’ai aussi ressenti un grand bonheur quand j’ai vu apparaître les premières pommes de pins cet été sur ces jeunes arbres.

les premières pignes!

Ce automne, au matin , la lumière faisait resplendir les ajoncs, qui ont subi un enveloppement à la manière de Christo. C’était doux, soyeux, élastique. Nous avons pensé au travail des araignées, assurées de ne pas être dérangées.

à la manière de Christo
un travail d’artiste
en 2019
Le chêne nous sert de référence, car il est en train de se faire dépasser en hauteur par les jeunes pins. Nous sommes aussi dépassés!
2019, la pousse est drue.

Petit clin d’œil trouvé dans « La maison du retour » de Jean-Paul Kauffmann

« Le tour de l’airial que j’effectue quotidiennement fait partie de ces joies simples. Elles ne sont pas exemptes de contrariétés. J‘évoquais tout à l’heure la terre des Landes-assurément il y a des malheurs plus grands. Personne ne peut rien contre la nature du sol. En revanche, il me faut affronter de terribles adversaires: les chevreuils et les bambous. »Bambi et bambou », comme le résume plaisamment Joëlle. Dès mon arrivée aux Tilleuls, je les avais clairement identifiés. Ces deux-là, qui a priori ne figurent pas parmi les nuisances de la nature, allaient me donner du fil à retordre. Aujourd’hui, je ne souhaite pas qu’ils disparaissent mais qu’ils se contiennent.

Les invités des Tilleuls ne comprennent pas une telle hostilité à l’égard de ces gracieux cervidés. Certains petits-déjeuners pris sous l’auvent donnent l’occasion de voir à quelques mètres les chevreuils bondir dans la lumière du matin. une telle scène comble tous les fantasmes de la vie à la campagne… J’ai beau expliquer à mes amis que les chevreuils ne sont que des prédateurs, je me heurte à un mur. Les premières années, les jeunes essences sont mortes les unes après les autres. J’ai vite compris la cause de cette hécatombe: les chevreuils. Ces charmants animaux adorent l’écorce des jeunes arbres. ils épluchent consciencieusement le tronc. Une fois l’écorce mangée, l’arbre meurt… »

Dans mon prochain article, nous suivrons l’évolution d’autres plantations: autre terre, autre configuration,autres problèmes…

en attendant, la forêt est fragile: prenez-en soin: pour vous et pour les générations futures.

un matin d’automne 2019

« Pour accéder à la postérité, on n’est pas obligé d’être un génie ou un roi, il suffit seulement de planter un arbre… »

Yasmina Khadra/ Ce que le mirage doit à l’oasis

*

Petit à petit le projet de reboisement se précise et finit par voir le jour, pour nous, sur la première parcelle, en 2015. Avec beaucoup d’interrogations:

-comment créer une future forêt vivante, bénéfique? Une forêt dans laquelle reviendront de nombreux habitants: oiseaux, araignées, carabes, papillons de jour, coléoptères saproxyliques(bois mort)…

-quel choix faut-il faire pour dessiner les paysages de demain?

Compte tenu de la présence de petits chênes bien implantés sur le terrain, et ayant résisté aux tempêtes, nous avons absolument tenu à les garder. Les sols étant plutôt pauvres et arides, nous avons opté pour des plantations classiques de pins maritimes. Bien sûr nous avons aussi gardé les petits pins déjà sur le terrain issus des graines de pins abattus par Klauss.

Fin 2018, dans les Landes,

200 000 ha ont été reboisés en pins maritimes, soit 250 millions d’arbres.

Le plan de reboisement, à partir de pins de 4 ème génération, prévoit des cycles de culture plus courts mais le temps peut être allongé en fonction du terrain.

Voici maintenant un aperçu des travaux.

Les souches ont été mises en tas et ont séché durant un temps assez long.Un an environ, le temps d’être lavées par la pluie.
la machine à dessoucher
le terrain est aplani
le chêne veillera sur les futures plantations
le tracteur de labourage
le terrain est labouré: sillons et billons
après le labourage
les petits pins en attente de plantation
le travail est effectué à la main (Société Planfor)
la canne à planter
merci d’avoir accepté de faire connaître cet aspect du travail de reboisement
Petits pins deviendront grands (on l’espère)
Ceux-ci ont été plantés en fin d’hiver
et ceux-ci en fin de printemps

Il ne reste plus qu’à surveiller les plantations, et selon le terrain à effectuer les travaux d’entretien. Il ne reste plus qu’à dire aux petits pins qu’on les aime et qu’un jour, nous les confierons aux générations suivantes.

un petit pin c’est comme cela
mais ramené à la taille du pied…

Je ne manquerai pas, par la suite de vous montrer l’évolution des plantations, avec ses joies et les aléas qui vont avec.

Et surtout…

Parce que la forêt nous veut du bien,

N’oubliez pas:

La forêt est fragile, il faut la protéger.

« Parler du désert, ne serait-ce pas, d’abord, se taire, comme lui, et lui rendre hommage non de nos vains bavardages mais de notre silence? »THÉODORE MONOT

dans la lande

LE PAYS PARLE À MI-VOIX:

pendant quelques années, il fallut attendre, organiser l’après-tempête, laisser sécher les souches, les faire enlever, laisser reposer le terrain, attendre, attendre encore avant de repartir à zéro.

Attendre

Lorsque je me promenais seule, dans cette lande à perte de vue, j’avais le cœur gros au nom de ce passé disparu et malgré tout, je mesurais ma chance de pouvoir marcher, flâner, sans rencontrer âme qui vive. Un mot revenait en boucle dans ma tête: « désert, désert, désert à l’infini ». Il ne me fallait pas aller bien loin pour trouver le désert.

Il y avait ces terrains qui se reposaient et puis ceux qui étaient retournés définitivement à l’état de lande parce que leurs propriétaires renonçaient à reboiser.

Il y avait ce silence, tantôt silence de luxe dans notre société actuelle, tantôt un silence lourd, pesant, synonyme d’abandon, de retour à la lande sans son aspect pastoral.

aussi loin que porte le regard

Je pensais alors à mes ancêtres juchés sur leurs échasses afin de surveiller leurs troupeaux, ceux d’avant la loi de 1857 de Napoléon III, qui avait mis un terme à cette civilisation agro-pastorale, en généralisant les plantations de pins, créant ainsi le plus grand massif forestier.

entre ciel et terre

Un homme a immortalisé ce changement de société: FÉLIX ARNAUDIN(1844_1921), originaire de Labouheyre(40).Formidable témoin de cette révolution naissante, sillonnant ce coin des Landes durant 50 ans, pour immortaliser par la photo les derniers soubresauts de la vie rurale et les paysages originels, il se déplaçait inlassablement sur une distance d’environ 60 km.

un livre-mémoire

Il y a quelques années, une exposition remarquable lui fut consacrée au MUSÉE d’AQUITAINE(Bordeaux) intitulée »LE GUETTEUR MÉLANCOLIQUE. Accompagnée d’un livre d’une rare beauté retraçant l’œuvre unique de FÉLIX ARNAUDIN (négatifs sur verre et tirages originaux), si riche de passion, de précision, si émouvante, nous plongeâmes , grâce à ces clichés présentés pour certains de façon panoramique, dans ce qu’il appelait « la vastitude ».

l’eau des marais, des lagunes, des crastes, le trop-plein des pluies…

SAUF QUE… Dans cet après-tempête, en parcourant la lande, j’avais la sensation de revivre ces paysages originels.

« … le ciel béant, la terre inhabitée, vide à donner le vertige… » écrivait FÉLIX ARNAUDIN.

Lui aussi guettait les arbres solitaires

Je revenais sans cesse vers des écrits évoquant le désert, sous la plume notamment de J-M-G LE CLÉZIO. Comme Bernard Pivot, lors de la parution du livre « DÉSERT », j’étais persuadée que je ne me lasserais pas de ce roman à double lecture, à lire tantôt sous l’éclairage de ses deux personnages, tantôt histoire après histoire.

Il évoquait ce que je ressentais; « un pays perdu, un lieu de mythe, une plongée au cœur du temps »,  » un paysage vide, du vent », « une aire de recueillement, d’énergie ».

au jour finissant

« Ce qui sépare le nomade du sédentaire (c’est-à-dire du citadin), c’est cette faculté qui est celle du marin sur son bateau, ou de l’Esquimau sur sa banquise, de distinguer le moindre changement, d’admirer la variété là où d’autres ne verraient que du vide. Ici, nous avons tout à apprendre. »

J-M-G LE CLÉZIO

le théâtre du silence
légère brume

à suivre

 » Si la forêt mourait, le monde inconsolable,

Irait jusqu’à la mer recueillir ses sanglots;

La lande dénudée deviendrait vulnérable,

Et l’âme du désert envahirait les flots. »

JEAN-ANDRÉ JEANNIN/ SONGES SUR LA LANDE

3 mois après, des grumes à perte de vue

Partout, au bord des routes, au bord des pistes forestières, des pare-feu, des grumes. Pour nous ici, restait le seul souvenir de cette parcelle de pins qui avait été plantée peu de temps après les incendies d’après guerre. Ces pins étaient beaux, mais poussaient lentement, car nous sommes ici sur des terres pauvres.

Avant la tempête, 8 millions de m3 de bois étaient écoulés par la filière bois chaque année. Il a suffi d’une nuit pour se retrouver avec 40 millions de m3 à terre,soit l’équivalent de 5 années de récolte.

Il fallait donc écouler en urgence, ce qui pouvait l’être et réaliser le stockage du reste sous aspersion continue. Sinon, le bois aurait bleui et n’aurait plus été exploitable. 8 millions de m3 ont été ainsi stockés.

Jeu de construction/déconstruction

Évidemment, les prix ont dégringolé, passant de 35€ le m3 à 3 ou 4 € le m3. Autant vous dire qu’on était vite la proie d’intermédiaires flairant l’aubaine et que parfois avec des bois jeunes (de 10 à 15 ans d’âge), c’était tout juste s’il restait quelques euros, une fois les camions partis.

Mais pour pouvoir exploiter les bois, il a fallu d’abord , dans l’urgence,dégager les pistes d’accès(28000 km dans les Landes) avec l’aide de toutes les forces vives: militaires, pompiers venus d’une multitude de départements, Sécurité Civile, volontaires, bûcherons venus de l’Europe entière.

Les géants à terre et ceux qui ont résisté

3 mois après je faisais mienne la citation de J-M-G Le CLÉZIO dans GENS DES NUAGES:

« Le trésor s’est éparpillé comme le sable, il est dans l’ombre des ravins, dans les puits, sur les arbustes des dunes. Il est dans la mémoire. Non seulement la mémoire des hommes, la mémoire des plantes, la mémoire du ciel et du vent. »

je n’oublie pas la vision esthétique de la situation, même si le cœur n’y est pas.

au sol les traces du ballet des engins

« Quand le soir venu, la tempête s’annonce

Par un ciel déchiré et de sourds grondements;

La lande touche aux nues et l’horizon s’enfonce,

Ne faisant plus qu’une ombre avec les éléments.

JEAN-ANDRÉ JEANNIN/ SONGES SUR LA LANDE.

« Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
Le pin verse son baume et sa sève qui bout… »
THÉOPHILE GAUTIER

Ce même poète qui osait la comparaison entre l’arbre semblable à un soldat blessé qui veut mourir debout et le poète, qu’aurait-il écrit en voyant ainsi la résine couler?

l’âge de l’arbre

Les souches nous permettent de lire dans l’arbre à terre comme dans un livre d’Histoire: le livre de SON histoire.1 cercle de bois par an et selon que l’arbre aura connu des années néfastes (sécheresse, autre arbre lui faisant de l’ombre, attaque d’insectes…) les cercles seront plus ou moins étroits.

En tous cas, voici les différentes parties d’un tronc:

1-l’écorce

2-l’assise cambiale, zone très mince située juste entre l’écorce et le bois

3-l’aubier: bois fabriqué par l’assise cambiale les années précédentes

4-le bois de cœur au centre.

en gros plan

le temps des comptes.

à suivre…

avant le passage de Klauss

« La fille, cette fille, a étudié le latin et le grec. Elle a appris l’étymologie de humilié. Elle sait que humilié, étymologiquement, veut dire qui est au sol, à terre, humus le sol en latin, comme dans inhumer et exhumer, et posthume; au sol, sur la terre, dans la terre, planté dans la terre comme un arbre. Depuis toujours, depuis qu’elle a pris conscience d’être, elle se sent comme ça, plantée en terre comme un arbre, comme l’érable de la cour de la ferme…

Elle se sent plantée en terre comme l’érable de la cour, cet érable, ou comme les frênes au bord de la Santoire, ou comme certain hêtre du pré qu’elle connaît mieux que personne, muettement;depuis toujours, très très longtemps avant de se frotter au latin et d’être frottée de latin, très très longtemps avant de lire Flaubert et Homère, elle a eu cette histoire avec les arbres en particulier, et avec le pays, voire le paysage, voire les paysages en général.

Avoir une histoire comme on dit d’une histoire d’amour, sauf que cette histoire d’amour-là ne finit pas, elle dure depuis que cette fille est au monde, et c’est une grâce inouïe, une grâce une force un jet une joie un élan une source; on ne sait pas bien quel mot mettre là, je ne sais pas bien, on s’y épuiserait. »

MARIE-HÉLÈNE LAFON/ CHANTIERS

une des cabanes de mon enfance

En ce qui me concerne, il ne faut pas prendre toute ressemblance avec Marie-Hélène Lafon au pied de la lettre, tout au moins pour le grec qui n’a jamais fait partie de mon apprentissage, pas plus que pour l’érable ou le frêne qui ne sont pas partie prenante du paysage landais.Mais cependant, mon attachement viscéral va vers les chênes de l’airial, qui aujourd’hui ne sont plus, vers ceux de la forêt aussi,ceux qui poussent spontanément, et vers ces pins qu’une amie québécoise avait trouvés « si maigres » et dont elle se demandait s’ils étaient malades. Et bien sûr, j’ai cette histoire d’amour avec le sol, si maigre soit-il; qu’il soit d’ajoncs ou de bruyère, de fougères, de sable, de terre à fouler, d’un lieu où s’ancrer, avec ce qui veut bien y pousser.

Ces mêmes pins qui refusent de se livrer et de livrer leur monde subtil à ceux qui ne les voient que depuis l’autoroute, à 130km/ et dont parlait le poète, mettant le pin au cœur d’un symbole:

« On ne voit en passant par les Landes désertes,

Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,

Surgir de l’herbe sèche est des flaques d’eaux vertes,

D’autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc… »

écrivait Théophile Gautier.

Bien sûr je m’insurge contre cette description ni tout à fait vraie, ni tout à fait fausse, et puis les derniers gemmeurs ou résiniers ont déserté les forêts avec leur « hapchot » et leur échasse appuyée contre le pin, comme mon grand-père maternel. ou mon père.

La craste en février

Landes d’avant Klauss

j’ai aussi de ces aubes en camaïeu
où la rosée pianote sur les fougères
et diamante les dentelles d’araignées
de pin à pin comme toile de nuit
à suspendre au creux du petit jour.
Les chemins se sablent doré
et les pas de fraîche en fraîche
sont de pure virginité.
L’espoir en sautoir
brode les rayons d’horizon.
Rien ne bruit. Tout est doux
Roux et or pâtiné d’humidité.
La lande mijote son ardeur
et ses cigales heureuses
entre deux tartines d’été.
Les heures n’ont de cesse
de préparer en secret
le volcan de midi
les couleurs de Van Gogh
au zénith de l’air en suspension.
La lande poudroie
La lande rougeoie
et tourne en dérision
le passé décomposé
des sombres années
où la forêt était sueur
était chemin du résinier.
Le souvenir est contemplation
nectar d’enfant nourri de sa passion.

Maïté L

« Ces traits tirés à l’infini, ces chemins à perte de vue paraissent rectilignes, ouverts alors que rien n’est plus sinueux, plus secret que cet alignement de pins compact et inépuisable »
JEAN-PAUL KAUFFMANN: LA MAISON DU RETOUR
*
à suivre

Vint le jour partagé

Non dans le sens de la langueur

Mais dans le sens des frissons.

Un jour de rosée prometteur

Scindant la ligne  d’horizon

Un jour de bois et de prairies

Et de chevreuils enhardis.

La langue cueillait le tic tac

Des cimes et de leur ressac

Les yeux appauvris se réveillaient

Et s’habituaient au silence posé

Sur le bord des berges en poussière

Le jour velours se prenait à rêver en lisière

De ce qui serait onguent de mains

Livrées aux gants d’herbe et de matin.

Passants  entre les jeux  de cache-cache des pins

Le ciel est bleu si l’on en connaît le chemin.

La brume accompagnait ce matin-là le lever du soleil. J’entrepris donc d’aller à sa rencontre mais elle s’estompait bien plus vite que je ne progressais.

Je pris le chemin des sables, au-dessus du pipe line, puisque nous sommes au pays de l’or noir.Et je marchai le long de la craste particulièrement asséchée.

Mais bientôt, j’oubliai la brume car à mes pieds s’ouvrait le livre des traces. Je venais tout juste de comprendre pourquoi dans la nuit noire, j’avais entendu des jappements furieux. A l’heure où les animaux de la forêt venaient s’abreuver, s’était engagée une course poursuite.

Je suivis  les traces jusqu’au point de  rencontre.

Et je finis par apercevoir ce qui restait de brume accrochée à la forêt.

La journée s’annonçait belle. bientôt le sable effacerait cette page de vie, avant d’écrire la suivante.

Un matin solitaire, je partis en corps-à-corps avec la forêt.Parfois les pins furent témoins de corps-à-cris mais ce n’était pas le cas ce jour-là.

La nuit finissait de s’égoutter sur chaque brin de végétation et la lumière faible, fade, délavée rasait les taillis. Sur le chemin vite effacé, sévissaient les ajoncs m’obligeant à calculer où poser le pied. Entre chien, loup absents et rosée généreuse, je me glissai pour cueillir les présents d’un matin qui flattait mon côté sauvage.

Pourquoi partager un peu de la forêt à la végétation passe-partout qui n’a que la richesse des landes sèches?

Pourquoi compter une à une ces gouttes de pluie, de rosée, de lumière bien à l’abri des sous-bois?

Pourquoi partager cet espace niché entre public et intime?

Si proche des racines.

Comme un premier

.Pas.

Et puis:

.L’ESPOIR.